30 décembre 2008

Le florin : présentation



Comme j'y avais déjà fait allusion précédemment, le responsable d'un projet de dictionnaire d'histoire européenne m'a contacté pour rédiger l'article portant sur le florin (sont également prévus, pour la numismatique, un article sur le gros et un autre sur le denier, je crois -- et sans doute un ou deux autres).
L'objectif était de produire un article relativement court, synthétique, sans illustration, pour un public large et assez cultivé (mais non spécialiste), avec la contrainte supplémentaire très intéressante d'intégrer cette notice dans un dictionnaire d'histoire européenne.
J'ai donc rédigé une première version de cette notice. J'ai ensuite relu les consignes, et notamment :
Ainsi, nous voudrions retrouver les phases d'unification et de rupture, de l'Europe de la chrétienté à celle des Lumières, de l'Europe des révolutions et des nations à celle de l'intégration économique. L'accent sera naturellement mis sur les héritages, les changements et les transferts entre le Moyen Âge et l'époque contemporaine.
Dans la mesure du possible, chaque article devra proposer une vision des réalités et des processus dans une dimension européenne. Il ne s'agit pas d'élaborer une synthèse complète sur un sujet donné, mais d'essayer de faire comprendre son importance dans la construction d'une identité européenne ou dans le refus de cette construction.
Il fallait donc rendre compte d'un phénomène de dimension européenne sans anticiper sur la réalité européenne du XXe siècle. Une chance pour moi : le florin a réellement une telle dimension, et le risque n'était pas trop important de faire de la téléologie (je ne crois pas avoir été tenté de parler de l'euro à quelque moment que ce soit).
Toujours est-il qu'après avoir relu ces consignes, je me suis efforcé de plier mon discours dans l'optique de ce projet. Je vous soumets les deux versions, d'abord pour les informations qu'elles fournissent, et pour la comparaison des deux qui a rendu l'exercice encore plus intéressant.

N'hésitez évidemment pas à me signaler toute erreur que j'aurais pu y commettre.

Première version
Apparition
Le florin est la première monnaie d’or frappée en Occident depuis l’époque mérovingienne. Une circulation croissante des richesses depuis le XIIe siècle rend progressivement nécessaire l’utilisation de monnaies d’or afin d’éviter de trop importantes masses d’argent.
En particulier, les relations commerciales avec les Etats latins d’Orient apparus au début du XIIe siècle à la suite des premières croisades, ainsi que la multiplication des foires, favorisent le grand commerce et donc une monnaie d’échange de forte valeur intrinsèque.
Jusqu’au milieu du XIIIe siècle, seuls les deniers, héritage de la réforme carolingienne, monnaies d’un à deux grammes contenant environ 50 % d’argent, circulaient dans la Chrétienté, et leur faible teneur en métal précieux contraint à déplacer des masses trop importantes.
La plupart des payscommencent à frapper des multiples des deniers, des gros d’argent valant 10 à 20 deniers, avec un alliage contenant beaucoup plus d’argent (le roi de France saint Louis en 1260-1263). Mais certains marchands, en particulier italiens, disposent déjà de réseaux internationaux, pour lesquels une grosse monnaie d’argent ne peut suffire.
Si la nécessité s’en faisait ressentir dans toute l’Europe, c’est Florence qui frappe la première monnaie d’or, en 1252 : le florin, de 3,5 g d’or environ à 24 carats.
Venise l’imite en 1285 et crée le ducat, avec la même proportion de métal précieux.
Cette adoption d’un système unique facilite les changes monétaires au moment de la circulation des marchandises, et favorise l’adoption du florin (et du ducat) dans tout l’Occident. Ces deux monnaies d’or dominent ainsi durant tout le Bas Moyen âge la diversité des monnaies d’or, dont les variétés se multiplient dès le XIVe siècle et dont beaucoup ne sont frappées que durant quelques années.
Un autre facteur de propagation du florin est l’intense activité des marchands florentins, favorisée par un accord entre Pise et Florence (1317) qui leur donne un accès à la mer.
Le florin n’est pas seulement une monnaie de circulation, mais est également très utilisée comme monnaie de thésaurisation.
Type monétaire
Le florin montre sur au droit une fleur de lis florencée, symbole de la cité, avec le nom de la ville (FLORENTIA), et au revers saint Jean-Baptiste en pied, protecteur de la ville (S. IOHANNES B).
Propagation et imitation
De nombreux trésors attestent de la large circulation du florin, dans toute l’Europe (y compris dans les pays scandinaves) et dans la Méditerranée, en direction notamment des Balkans et des Etats latins d’Orient.
Du fait de son succès auprès des marchands, le florin fait partie des pièces les plus imitées au Moyen âge. Encore faut-il comprendre ce qu’imitation désigne. On trouve en effet :
Des imitations complètes, avec avers et revers identiques. Seules les légendes sont modifiées pour y placer le nom du nouvel émetteur. Le premier imitateur est le pape Jean XXII (1316-1334) dans son atelier de Pont-de-Sorgues, près d’Avignon (1322)
Des imitations « hybrides », où une des deux faces seulement est reprise : le premier de ces hybrides est frappé par le Sénat romain en 1305, qui remplace la fleur de lis par un bouclier.
Des monnaies d’or sans identité de type, mais dont la teneur de métal précieux se calque sur celle des florins, afin d’être plus aisément utilisée par les marchands.
Des imitations « strictes » sont frappées aux XIVe-XVe siècles en Italie, en Espagne, en France (particulièrement dans la vallée du Rhône), en terre d’Empire (Autriche, Allemagne, Pays-Bas, Flandre) et jusque dans l’actuelle Pologne. On en trouve également dans un atelier du Péloponnèse (Kastro-Kyllini) et à Ephèse (Turquie). Les imitations hybrides couvrent la même zone géographique.

Le terme de florin dans les sources écrites désigne aussi bien les florins de Florence que leurs imitations, mais s’élargit même pour désigner les monnaies d’or de valeur identique. La dénomination acquière parfois la valeur générique pour désigner une monnaie d’or, voire une monnaie d’argent.
Si ces monnaies d’or circulent moins à l’époque moderne, au profit de lourdes monnaies d’argent (dont la prolifération est facilitée à la fois par l’argent des mines d’Europe centrale et par celles des Amériques), les derniers florins sont frappés au XIXe siècle.
Bibliographie
William D. Ray, « Early imitations of the gold florin », Numismatic Chronicle, 2004, vol. 164, p. 183-199
Alan M. Stahl, Zecca : the mint of Venice in the Middle Ages, Baltimore : Johns Hopkins University Press, New York : American Numismatic Society, 463 p.
Mario Bernocchi, Le monete della Republica fiorentina, Florence : Olschki, 1974-1985, 5 t. t. III : Documentazione, p. 55-124, et t. V : Zecche di imitazioni e ibridi di monete fiorentine, 168 p., 420 pl.


Deuxième version
L’apparition inévitable du florin
Suite à la désagrégation progressive de l’Empire romain, la monnaie d’or cesse d’être une nécessité au début du Moyen âge, et les dernières pièces d’or sont frappées sous les Mérovingiens (VIIe siècle), pendant que s’impose rapidement un nouveau type d’espèces : le denier contenant de 0,5 à 1 g d’argent, seule monnaie frappée (avec ses subdivisions dans quelques régions) dans tout l’Occident.
Favorisés par l’expansion économique du XIIe siècle, incarnée notamment dans les grandes foires internationales (Champagne, Flandre), ainsi que par l’intensification du commerce en Méditerranée (les Etats latins d’Orient naissent de la première Croisade, au début du XIIe siècle), les échanges commerciaux à grande distance, et la constitution de fortunes importantes, rendent de plus en plus nécessaire l’apparition d’une monnaie d’or pour faciliter le transfert de valeurs considérables. Dans ces grands flux d’argent et de bien, les marchands et banquiers italiens jouent un rôle de premier plan. Pour se substituer au denier, les premières pièces sont de grosses pièces d’argent dès la première moitié du XIIIe siècle.
Si la nécessité s’en faisait ressentir dans toute l’Europe, c’est Florence qui frappe la première monnaie d’or, en 1252 : le florin, de 3,5 g d’or environ à 24 carats. Cette pièce montre sur une face une fleur de lis florencée, symbole de la cité, avec le nom de la ville (FLORENTIA), et au revers saint Jean-Baptiste en pied, protecteur de la ville (S. IOHANNES B).
Devant le succès du florin auprès des marchands et des changeurs, Venise crée en 1285 le ducat, avec son type monétaire propre mais la même proportion de métal précieux.
Cette adoption d’un système unique facilite les changes monétaires au moment de la circulation des marchandises, et favorise l’adoption du florin (et du ducat) dans tout l’Occident. Ces deux monnaies d’or dominent ainsi durant tout le Bas Moyen âge la diversité des monnaies d’or, dont les variétés se multiplient dès le XIVe siècle et dont beaucoup ne sont frappées que durant quelques années.
Propagation et imitation
De nombreux trésors attestent de la large circulation du florin, dans toute l’Europe (y compris dans les pays scandinaves) et dans la Méditerranée, en direction notamment des Balkans et des Etats latins d’Orient.
Du fait de son succès auprès des marchands, le florin fait partie des pièces les plus imitées au Moyen âge. Encore faut-il comprendre ce qu’imitation désigne. On trouve en effet :
Des imitations complètes, avec avers et revers identiques. Seules les légendes sont modifiées pour y placer le nom du nouvel émetteur. Le premier imitateur est le pape Jean XXII (1316-1334) dans son atelier de Pont-de-Sorgues, près d’Avignon (1322)
Des imitations « hybrides », où une des deux faces seulement est reprise : le premier de ces hybrides est frappé par le Sénat romain en 1305, qui remplace la fleur de lis par un bouclier.
Des monnaies d’or sans identité de type, mais dont la teneur de métal précieux se calque sur celle des florins, afin d’être plus aisément utilisée par les marchands.
Des imitations « strictes » et hybrides sont frappées aux XIVe-XVe siècles en Italie, en Espagne, en France (particulièrement dans la vallée du Rhône), en terre d’Empire (Autriche, Allemagne, Pays-Bas, Flandre) et jusque dans l’actuelle Pologne. On en trouve également en Grèce et en Turquie.
Bibliographie
William D. Ray, « Early imitations of the gold florin », Numismatic Chronicle, 2004, vol. 164, p. 183-199
Alan M. Stahl, Zecca : the mint of Venice in the Middle Ages, Baltimore : Johns Hopkins University Press, New York : American Numismatic Society, 463 p.
Mario Bernocchi, Le monete della Republica fiorentina, Florence : Olschki, 1974-1985, 5 t. t. III : Documentazione, p. 55-124, et t. V : Zecche di imitazioni e ibridi di monete fiorentine, 168 p., 420 pl.

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26 décembre 2008

Quelques explications pour la fin de l'année et celle qui commence

J'espère que vous aviez remarqué que ce blog était resté très calme durant ces derniers mois. Il m'a fallu remettre complètement en question et en perspective la place que je voulais accorder à la numismatique.
Depuis quelques années ce blog était plus ou moins censé me faire tenir jusqu'à mon entrée comme conservateur au Cabinet des Médailles. Cette entrée ayant connu un fort retard pour une durée indéterminée puisque je me trouve désormais à Nice, et pour un bout de temps, je ne savais plus trop si j'allais continuer à m'intéresser aux monnaies médiévales, si oui avec quels objectifs et quels moyens -- et ce d'autant plus que j'ai parallèlement créé un autre blog chargé de relayer tout ce qui concerne plus spécifiquement la bibliothéconomie, les sites web, l'ergonomie des bases de données en ligne, etc.
Donc que mettre dans ce blog ci, pourquoi, pour qui, etc.
Jusqu'à présent je vivais sur les acquis de ma thèse d'Ecole des Chartes : l'iconographie des monnaies médiévales ecclésiastiques. Je prolongeais vaguement en attendant d'avoir vraiment le temps, à titre professionnel cette fois, d'élargir aux monnaies laïques, royales et étrangères.
Comme cet élargissement est reporté sine die, je me propose de repartir de zéro.

Donc je me replonge dans la Revue numismatique, à partir du numéro 1 (1836), pour découvrir peu à peu le monnayage médiéval tous aspects confondus, et pas seulement les monnaies sorties des ateliers abbatiaux et épiscopaux. J'ai à présent la vie devant moi au lieu de quelques années.
Si je commence par des articles du XIXe siècle, c'est
  1. pour avoir une vision plus large de la discipline "Numismatique", et être moins dépendant des centres d'intérêt propres à cette époque (car il y a des modes, y compris pour les sciences auxiliaires de l'histoire).
  2. parce que je sais depuis quelques années que ma manière d'étudier les monnaies n'est pas neuve, mais qu'elle a été oubliée pendant 150 ans.
"Ma manière", c'est d'étudier non pas tel ou tel monnayage, tel exemplaire rarissime, mais de m'intéresser à la fluctuation des types monétaires, presque indépendamment de leur support. J'aime ce genre de phrases : « l'alpha et l'oméga disparaissent avec la fin des Mérovingiens, pour resurgir dans le bassin parisien au XIe siècle ». Il n'y a plus de monnaie, plus d'érosion, de corrosion, de typographie impossible à déchiffrer : il n'y a plus que des images qui se promènent d'une époque à l'autre, d'une région à l'autre.
C'est très peu scientifique de fonctionner ainsi, et ce n'est d'ailleurs pas tout à fait ainsi que je fonctionne. Mais le projet demeure : retracer une histoire des types monétaires au Moyen Age, en faisant de l'histoire sérielle (mise en série d'exemplaires) pour dévoiler quels types sont spécifiques à quelles époques, quelles provinces, quels types d'émetteurs (laïques, ecclésiastiques / usurpateurs, bénéficiaires d'une donation du droit de frappe), etc.

Cette manière de faire a été inaugurée par Joachim Lelewel en 1835. J'en retrouve quelques échos dans les premiers numéros de la Revue numismatique. Puis plus rien. Il est vraisemblable que, soit par manque d'envie, soit par manque de temps, soit pour quelque autre raison, on pourrait aujourd'hui considérer ce projet comme prématuré à l'époque, car la connaissance que l'on a à présent des monnaies médiévales est incomparable.
Il est évident que cet argument est absurde : on imagine sans peine que dans 50 ans les chercheurs diront la même chose de notre époque, et si l'on attendait d'avoir une connaissance parfaite de nos sources historiques pour écrire l'histoire, on attendrait encore.

Toujours est-il qu'il est plus que temps de réécrire cette Numismatique du Moyen Age considérée sous le rapport du type de Lelewel. Pas aujourd'hui, pas demain : disons, pour ma retraite (qui s'éloigne au fil des ans), peut-être un peu avant si le temps le permet.
Donc je me lance lentement dans la découverte du monnayage laïque (avec quelques notions déjà, heureusement), et un approfondissement de la science numismatique. Et je compte bien qu'en cours de route il en sortira quelques billets pour ce blog.

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